- ART PAUVRE
- ART PAUVREART PAUVRELors d’une exposition qu’il organise à la galerie La Bertesca à Gênes, et dont il préface le catalogue en 1967, l’historien d’art italien Germano Celant forge l’appellation Arte povera (Art pauvre). Reprenant un terme utilisé par le metteur en scène polonais Grotowski, il l’applique à des œuvres réalisées avec des matériaux ordinaires et naturels, peu orthodoxes si l’on se réfère à la tradition, et qui inscrivent «l’activité artistique dans une pratique événementielle souvent confondue avec les exigences d’une réalité vécue, impliquée dans un contexte à la fois politique et idéologique». Parmi les artistes qui participent à cette première exposition, il faut citer Alighiero e Boetti, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Giulio Paolini et Pino Pascali, que viendront rejoindre, lors de l’exposition organisée en 1968 à la galerie de Foscherari à Bologne, Giovanni Anselmo, Mario Merz et Gilberto Zorio; il convient d’ajouter encore les noms de Paolo Calzolari, Marisa Merz, Giuseppe Penone et Michelangelo Pistoletto.C’est à Turin, la ville la plus industrialisée de toute l’Italie, siège de la puissante société Fiat, que vivaient ou travaillaient nombre des artistes impliqués dans l’Arte povera, en particulier Anselmo, Fabro, Marisa et Mario Merz, Paolini, Penone, Pistoletto et Zorio. Le mouvement doit en effet beaucoup au contexte économique de la fin des années 1960 qui correspondait à la fin du miracle industriel et au début de la récession. Il doit également beaucoup à la montée de la révolte étudiante dans le monde et aux prises de position de certains intellectuels et artistes comme Umberto Eco et Pasolini. Sont à prendre en compte également le nouvel engouement pour l’objet design qui coïncide avec l’apparition sur le marché italien, en particulier grâce à la galerie Sperone de Turin, des artistes pop et des minimalistes américains.Par une démarche artistique qui s’employait, comme le dit Germano Celant, «à éliminer, supprimer, appauvrir les signes pour les réduire à des archétypes» (Arte povera , édition Gabriele Mazzota, Milan, 1969), ces artistes tentent de jeter les bases d’une nouvelle définition idéologique et esthétique de l’œuvre d’art. Le comportement, l’attitude, le concept, la possibilité d’utiliser n’importe quel matériau, y compris les plus dérisoires, remettent en question la notion même d’œuvre sculptée ou peinte en tant qu’objet de délectation esthétique.En 1968, lors d’une exposition organisée à Amalfi: Arte povera, Azioni povere , le mouvement fera l’objet d’un débat qui divisera la critique italienne, tandis que Germano Celant élargit le champ d’action des artistes italiens en jouant la carte internationale. On retrouve en effet ces artistes dans deux expositions organisées par Harald Szeeman: Op losse Schroeven , en 1969 au Stedelijk Museum d’Amsterdam, et When Attitudes Become Form , à la Kunsthalle de Berne, qui regroupaient pour la première fois et de manière arbitraire des œuvres novatrices créées tant en Europe qu’aux États-Unis. C’est ainsi que les actions de Joseph Beuys, les mises en situation accusatrices de Sarkis, les néons et les cordes de Bruce Nauman, les feutres déployés de Robert Morris, les barres de fer de Richard Serra et les sacs de tissu de Barry Flanagan côtoyaient les charges électriques libérées dans le béton d’Anselmo, les roseaux et les torches de Zorio, le tas de charbon de Kounellis ou l’igloo en verre brisé de Mario Merz.Si en 1971 le Kunstverein de Munich organise encore une exposition intitulée Arte povera , il est cependant dès lors évident que ce label cesse d’être revendiqué par les artistes italiens eux-mêmes, chacun tenant à s’affirmer individuellement. Il faut attendre 1984, alors qu’une grande exposition d’art italien circule de Turin à New York, en passant par Madrid, pour que l’expression Art pauvre resurgisse, qualifiant un certain courant de la création italienne comme une réponse non formaliste à la puissance des mouvements artistiques américains qui mobilisaient alors l’attention du marché ainsi que celle des institutions.En jouant sur un fragment de la réalité la plus banale, une salade accolée à un bloc de granite par exemple, Anselmo souligne les modifications subies par les notions d’espace et de temps. Utilisant le charbon, le coton ou la flamme s’échappant d’une bouteille de butane, Kounellis évoque la mémoire collective, celle qui passe par les archétypes culturels ou les grands mythes. Zorio, en partant d’un objet quotidien, lit ou chaise, met en jeu des tensions psychologiques d’une grande violence. Avec du sel et du sucre, Boetti instaure une dialectique entre prétexte et matérialisation, hasard et système, ordre et chaos. Penone mêle le geste du sculpteur à celui de la nature et Paolini interroge à la fois le langage et la mythologie gréco-romaine. Quant à Mario Merz, artiste visionnaire au lyrisme tumultueux, bâtisseur d’igloos, il manie le pinceau et le néon, la progression arithmétique dite suite de Fibonacci et les fagots.Ainsi, face à un climat artistique d’esthétisation généralisée, des créateurs ont tenté, par un geste violemment critique, de «faire sauter», comme le dit Germano Celant, «toutes les relations organisées et institutionnalisées de l’art». En partant du caractère dérisoire de certains matériaux, ils entendaient aussi libérer le potentiel énergétique de la vie, où tout peut être significatif, comme ils souhaitaient également mettre en évidence la puissance magique propre aux éléments naturels.
Encyclopédie Universelle. 2012.